Retards de chantiers au Sénégal - la faute à qui ?
Perspective d’un fournisseur du second oeuvre
Un constat préoccupant pour les projets immobiliers
Au Sénégal, les retards de livraison sont devenus la norme dans les projets immobiliers qu'il s’agisse de programmes résidentiels, de constructions commerciales ou d’ouvrages publics. Un appartement promis pour fin 2024 livré six mois plus tard, une maison censée être prête en un an qui reste éternellement en chantier : ces situations sont devenues trop fréquentes.
Ces scénarios, bien que fréquents, ne sont pourtant pas une fatalité propre au Sénégal. Partout dans le monde, les retards rythment la vie des projets immobiliers. À l’échelle internationale, les études montrent que 98 % des grands projets dépassent les délais ou les budgets, avec en moyenne près de 20 mois supplémentaires par rapport aux prévisions initiales. Même pour des projets plus modestes, le retard semble devenu un invité incontournable.
Mais au Sénégal, ce phénomène prend des proportions particulières, visibles dans les rues de Dakar, Saint-Louis ou Thiès, où les bâtiments inachevés font partie intégrante du paysage urbain.
Derrière ces façades inachevées, se cachent plusieurs réalités locales, complexes et imbriquées.
Quelles sont ces réalités ?
Dans les pages qui suivent, nous allons mentionner ces causes multiples- financières, administratives, contextuelles - mais surtout mettre en lumière la véritable faille : l’organisation des projets.
En tant que fournisseur du second œuvre, à travers différents chantiers, nous observons que les mêmes blocages reviennent régulièrement - que ce soit des projets de particuliers ou des entreprises de promotion immobilière bien établies : des blocages liés à l’organisation et à la coordination entre acteurs.
Sans prétendre avoir toutes les réponses, nous partageons ici quelques constats et bonnes pratiques issus de notre expérience terrain, qui peuvent aider à limiter les retards et sécuriser les projets.
Les causes structurelles des retards de chantier au Sénégal
Beaucoup de chantiers démarrent sans financement sécurisé, misant sur des ventes futures ou des crédits bancaires difficiles à mobiliser ; dès que les coûts augmentent, la trésorerie se bloque et les travaux s’interrompent.
À cela s’ajoutent des plannings souvent trop optimistes, sans marge de sécurité-en particulier à cause de la dépendance aux importations et aux ruptures d’approvisionnement.
Les lenteurs administratives et les litiges fonciers viennent encore compliquer les choses, retardant les autorisations ou stoppant brutalement les travaux.
Enfin, même lorsque ces obstacles sont surmontés, des facteurs externes comme l’hivernage, les coupures d’électricité ou les tensions sociales fragilisent davantage un calendrier déjà instable.
Ensemble, ces éléments créent un terrain propice aux retards chroniques et posent de grands défis aux promoteurs et constructeurs.
Pourtant, dans bien des cas, la véritable explication n’est pas à chercher dans le financement ou la météo, mais dans la manière dont les projets sont organisés. Trop souvent, c’est la gestion elle-même qui fait dérailler le chantier bien plus que les contraintes extérieures.
Problèmes organisationnels : une cause majeure des retards immobiliers
Au-delà des aléas financiers et contextuels, c’est donc l’organisation interne qui constitue le talon d’Achille des projets immobiliers au Sénégal et il est temps de le prendre en charge.
Mauvaise gestion centrale et manque d’outils de pilotage
La plupart des projets ne disposent pas d’un tableau de bord centralisé et partagé entre tous les intervenants. Les informations circulent par e-mails, appels ou documents papier, ce qui génère incompréhensions et doublons. Sans visibilité claire sur l’avancement, chaque acteur avance à son rythme, et les retards s’accumulent sans être anticipés.
Décalage entre les métiers
Architectes, ingénieurs, entreprises de construction et sous-traitants travaillent souvent en silos. L’architecte livre ses plans, mais l’entreprise ajuste en fonction de contraintes budgétaires ou techniques, sans retour structuré. Ce décalage génère des erreurs de conception, des reprises coûteuses et des pertes de temps considérables.
Trop peu d’outils modernes de gestion de projet
Alors que dans d’autres pays, l’usage de logiciels collaboratifs (BIM, plateformes mobiles de suivi de chantier) est devenu la norme, au Sénégal, la gestion reste largement manuelle. Les rares tentatives d’introduire des outils digitaux se heurtent au manque de formation ou à la résistance au changement. Résultat : peu de données fiables pour anticiper les risques, et des problèmes qui explosent une fois qu’ils sont trop avancés pour être corrigés simplement.
Des choix fondés uniquement sur le prix
Le critère de sélection des fournisseurs et sous-traitants reste trop souvent centré sur le coût immédiat, sans prendre en compte la capacité organisationnelle ou la qualité du service. Cette logique du “moins-disant” entraîne la présence de maillons faibles dans la chaîne, incapables de suivre les standards des autres acteurs. Les économies réalisées au départ se transforment vite en surcoûts liés aux reprises et aux retards.
Manque de compétences techniques et erreurs d’exécution
Cela amène à un problème au cœur du sujet : la qualité de la main-d’œuvre des fournisseurs reste un frein majeur. Faute de formation et d’encadrement rigoureux, des erreurs d’exécution surviennent régulièrement : murs non droits, finitions approximatives, installations électriques ou sanitaires mal posées. Ces défauts imposent des reprises longues et coûteuses, qui font dérailler le planning global.
Bonnes pratiques pour limiter les retards dans le second œuvre
Pour les promoteurs
Intégrer une marge de sécurité dans le planning
Prévoir au moins +15 % de temps et de budget pour absorber les imprévus (hausse de prix, retards de livraison, météo). Cette marge doit être communiquée au client comme une précaution, mais traduite en deadlines plus serrées pour les fournisseurs afin de maintenir la pression.Standardiser les plans pour réduire le sur-mesure
Le sur-mesure ralentit les chantiers et multiplie les erreurs. En privilégiant des mesures standardisées et des éléments modulaires (portes, placards, cloisons pré-découpées), on facilite la préfabrication et on réduit les risques.Anticiper les appels d’offres et commandes
Lancer les appels d’offres et commandes des fournisseurs du second œuvre le plus tôt possible permet d’anticiper, même sans avoir tous les détails de mesures.Sécuriser la trésorerie des fournisseurs
Proposer un découpage du projet en plusieurs factures ou paiements par livraison pour éviter un blocage financier côté fournisseur.Organiser un atelier de lancement de projet
Les clauses contractuelles ne suffisent pas à garantir la discipline. Il est crucial d’impliquer activement les parties prenantes, de clarifier responsabilités et risques, et de créer une charte d’engagement commune.Utiliser des outils collaboratifs simplifiés
Remplacer les chaînes d’e-mails et CR en pièces jointes par une application mobile ou un tableau de bord partagé inspiré du BIM, mais simplifié.Introduire des incitations positives
Aux pénalités de retard, ajouter des primes de livraison à temps pour encourager la ponctualité.Choisir les prestataires sur la compétence, pas seulement le prix
Évaluer la capacité organisationnelle et la fiabilité, pas uniquement le coût. Éviter les maillons faibles dans la chaîne.Former en continu les chefs de chantier
Le chef de chantier est le pivot du projet. Sans formation en planification, digitalisation et contrôle qualité, les erreurs s’accumulent.
Pour les fournisseurs du second œuvre
Négocier des modalités de paiement équilibrées
Inclure des clauses de paiement en cas de retard global du chantier pour protéger la trésorerie.Protéger les produits installés
Proposer des protections adaptées (portes, menuiseries) pour éviter leur détérioration en phase de chantier.Clarifier les responsabilités contractuelles
Définir clairement qui est responsable du produit une fois installé. Clarifier également la gestion des clés et du matériel pour éviter toute responsabilité abusive.Valider les livraisons étape par étape
Exiger la signature de bons de livraison dès installation terminée pour éviter des litiges ultérieurs.Préfabriquer intelligemment
Les portes doivent être préparées en atelier, mais les cadres doivent être posés uniquement lorsque la maçonnerie est achevée, afin d’éviter les décalages entre plan et réalité.Dédier un responsable de service sur site
Un responsable formé à la gestion de projet et équipé d’un outil digital permet un suivi en temps réel, des contrôles qualité et une communication transparente avec le client.
Livrer à temps, c’est possible
Les retards de chantier ne sont pas une fatalité. Certains défis comme la dépendence aux matières importés sont structurels et difficiles à maîtriser; mais une adaptation à ces conditions est bien possible. Mais une grande partie de la difficulté réside dans l’organisation - et cela, tout le monde peut le corriger.
En intégrant une marge de sécurité, en standardisant les plans, en anticipant les commandes, en outillant vos équipes et en sélectionnant les prestataires sur leurs compétences et pas que le prix, on peut rompre la spirale des retards.
Le retard ce n’est pas une fatalité, c’est une question de volonté.
Sources :
https://magazineimmosenegal.com/
https://www.investir-au-senegal.com/
https://www.lemoniteurafrique.com/article/les-surcouts-et-retards-de-chantiers-en-afrique-de-l-ouest
https://www.financialafrik.com/2023/05/18/les-contraintes-du-financement-immobilier-en-afrique/
http://www.urbanisme.gouv.sn/autorisation-de-construire
https://unhabitat.org/sites/default/files/2022/07/profil_urbain_du_senegal.pdf
https://www.africanews.com/2023/06/20/les-tendances-du-marche-immobilier-africain/
http://www.fesbpt.sn/bulletin-technique-2023
https://fidic.org/books/fidic-contracts-guide-2nd-edition-2019